L'industrie cimentière se trouve aujourd'hui à un carrefour décisif. Responsable de 6 à 8 % des émissions mondiales de CO2, ce secteur doit impérativement se réinventer pour atteindre la neutralité carbone d'ici 2050. Face à cette urgence climatique et sous la pression croissante de la réglementation environnementale comme la RE2020 et le système européen d'échange de quotas d'émission, les acteurs de la filière multiplient les initiatives pour décarboner leurs activités. Entre innovations technologiques, nouveaux matériaux et économie circulaire, la transition écologique du ciment s'accélère.
Les technologies de décarbonation transforment la production de ciment
Le clinker, composant principal du ciment, représente le principal défi environnemental de l'industrie cimentière. Cuit à très haute température d'environ 1 450°C, il émet 765 kilogrammes de CO2 par tonne produite. Le ciment étant responsable d'environ 94 % des émissions de CO2 du béton, qui représente lui-même environ 30 % des émissions liées à la construction de bâtiments neufs en France, la nécessité d'agir sur ce maillon devient évidente. Vicat, cimentier innovant fondé en 1853 et présent aujourd'hui dans 12 pays avec près de 10 000 collaborateurs, s'engage résolument dans cette voie en visant la neutralité carbone d'ici 2050. Le groupe prévoit de réduire le taux de clinker dans le ciment à 69 % d'ici 2030, contre 75 % actuellement. Cette démarche s'inscrit dans un mouvement plus large où France Ciment prévoit de réduire de moitié les émissions d'ici 2030 par rapport à 2015, abaissant les émissions à 4,8 millions de tonnes équivalent CO2 par an contre 10,4 millions de tonnes en 2015. Cette réduction ambitieuse repose sur deux piliers majeurs : 23 % grâce au captage de CO2 et 27 % grâce aux leviers traditionnels d'optimisation.
La captation et le stockage du CO2 directement sur les sites industriels
La capture et le stockage du CO2 représentent une avancée technologique majeure pour l'industrie cimentière. Vicat mène ainsi le projet VAIA qui ambitionne de transformer la cimenterie de Montalieu-Vercieu en la première installation zéro émission en France d'ici 2030. Cette approche repose sur des dispositifs de captage installés directement sur les sites de production, permettant d'intercepter le CO2 avant qu'il ne soit rejeté dans l'atmosphère. Le carbone capté peut ensuite être stocké de manière sécurisée ou valorisé dans d'autres processus industriels. Cette technologie de capture et stockage, connue sous l'acronyme CCUS, constitue l'un des quatre leviers stratégiques identifiés pour décarboner le secteur. Le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, qui entrera pleinement en vigueur en 2026 pour taxer les importations de ciment selon leur contenu carbone, renforce encore l'intérêt économique de ces investissements.
L'utilisation de combustibles alternatifs et de biomasse dans les fours
La réduction de l'empreinte carbone passe également par une transformation profonde des sources d'énergie alimentant les fours à ciment. L'optimisation énergétique implique le remplacement progressif des combustibles fossiles par des alternatives moins polluantes comme la biomasse et la valorisation des déchets. Le groupe Vicat valorise activement les déchets industriels grâce à ses huit filiales spécialisées, dont Enèregy en France, anciennement Bioval. Cette stratégie d'économie circulaire permet non seulement de réduire les émissions de gaz à effet de serre mais aussi de donner une seconde vie à des matières qui auraient autrement été enfouies ou incinérées. L'utilisation de combustibles alternatifs s'inscrit dans les leviers traditionnels qui contribuent significativement à la réduction de 27 % des émissions prévue par France Ciment d'ici 2030. Ces innovations énergétiques transforment progressivement les cimenteries en acteurs de la transition écologique et de la construction durable.
Des matériaux innovants pour réinventer la formulation du béton

Au-delà des procédés industriels, c'est la composition même du ciment et du béton qui fait l'objet d'innovations remarquables. L'empreinte carbone des ciments Portland étant directement proportionnelle à leur teneur en clinker, réduire cette proportion devient une priorité absolue pour l'ensemble de la filière. Les ciments bas carbone se multiplient, avec des formulations qui intègrent des substituts cimentaires permettant de diminuer drastiquement les émissions tout en maintenant les performances techniques nécessaires aux applications de construction.
Le remplacement partiel du clinker par des ajouts minéraux recyclés
Les substituts cimentaires constituent une révolution silencieuse dans la composition du béton. Les laitiers de hauts-fourneaux, les cendres volantes, les argiles calcinées et les fillers calcaires remplacent progressivement une partie du clinker dans les nouvelles formulations. Vicat a notamment investi entre 5 et 7 millions d'euros pour moderniser son usine de Xeuilley, permettant une réduction de 3 à 5 % de la quantité de clinker utilisée. Le Grand Paris Express illustre parfaitement cette approche innovante en utilisant des terres de chantier pour fabriquer du béton bas carbone. Une collaboration avec l'Institut des Mines Telecom Nord Europe à Douai a permis de remplacer une partie du ciment par des argiles issues de la ligne 18. La flash calcination, technique qui transforme les terres excavées en additions minérales, consomme 80 % moins d'énergie que la fabrication classique du ciment et permet de formuler des bétons jusqu'à 40 % moins émissifs en CO2. Les 17 millions de tonnes de granulats de bétons recyclés disponibles chaque année en France représentent un gisement considérable pour l'économie circulaire. Une installation industrielle en Pologne traite déjà 100 tonnes par heure de béton déconstruit, pour un investissement de 5 millions d'euros, démontrant la viabilité industrielle de cette approche. L'éco-production d'éléments préfabriqués en béton intégrant 10 % de sables de Beauchamp issus de la ligne 16 du Grand Paris Express est également expérimentée avec succès.
Les nouveaux liants hydrauliques à faible émission carbonée
Les ciments bas carbone se déclinent aujourd'hui en plusieurs catégories certifiées. Les mélanges ternaires CEM II/C-M et CEM VI, composés de clinker, de laitier, de cendres, de pouzzolane et de calcaire, offrent des performances remarquables. La teneur en clinker varie de 50 à 65 % pour les CEM II/C-M et de 35 à 50 % pour les CEM VI, permettant une réduction d'empreinte environnementale de 40 % par rapport au CEM I traditionnel. Les ciments LC3, correspondant au CEM II/C-M de la norme européenne NF EN 197-5, associent clinker, méta kaolin provenant d'argile calcinée et calcaire. Cette formulation innovante permet de réduire l'empreinte carbone de 50 % comparé à un CEM I pur sans ajout, et de 35 % comparé à la moyenne actuelle de tous les ciments. Vicat développe également des produits à faible empreinte carbone comme CARAT, Lithosys et Biosys, qui s'inscrivent dans cette dynamique d'innovation. Les ciments CEM I et CEM II A traditionnels sont progressivement remplacés par des ciments à plus faible empreinte carbone comme les CEM II B-M, CEM III, CEM IV, CEM V et CEM VI, qui intègrent des matières minérales valorisées. Le béton bas carbone, défini comme émettant au moins 20 % de gaz à effet de serre en moins que le béton traditionnel, utilise les mêmes ingrédients que la formulation classique mais avec une optimisation permettant de réduire en moyenne de 30 à 60 % les émissions de CO2. Des projets emblématiques à Marseille, Lyon et Bordeaux démontrent déjà la viabilité de ces solutions. Les ciments à basse empreinte carbone sont en cours de certification NF, garantissant leur conformité aux normes les plus exigeantes. L'industrie cimentière vise collectivement une réduction de 50 % des émissions de CO2 d'ici 2030 par rapport à 2015, un objectif ambitieux qui mobilise l'ensemble des acteurs. L'écoconception des bâtiments, soutenue par des outils comme le Guide environnemental du gros œuvre, les configurateurs BETie et Environnement IB, permet d'optimiser l'emploi des matériaux et de réduire encore davantage l'empreinte carbone des projets de construction. Malgré un contexte économique difficile, avec un recul de l'activité de 6,6 % sur un an et 30 000 emplois perdus en 2024 selon la Fédération Française du Bâtiment, la transition vers des solutions bas carbone s'impose comme une nécessité incontournable pour bâtir un avenir durable.
